La croissance de l’espérance de vie, qui allonge la durée de vie à la retraite, et la diminution des naissances et donc de la population active qui la finance crée un déséquilibre auquel il faut trouver une solution.
La plupart des pays développés ont retardé l’âge de prise de la retraite, souvent jusqu’à 67 ans, y compris dans les pays d’Europe du Nord, longtemps considérés comme le modèle social le plus accompli.
En France, à défaut de réforme, le déficit pourrait représenter jusqu’à 1,5 % du PIB en 2050, toutes choses restant égales par ailleurs. C’est beaucoup.
La démographie ne constitue toutefois pas le seul facteur d’équilibre d’un régime de retraite, la croissance qui ne dépend pas exclusivement du nombre d’actifs au travail, constitue l’élément clef. Elle dépend notamment de la productivité du travail.
Alors que les progrès technologiques continuent, la productivité de la France ne progresse pratiquement plus depuis 10 ans. La raison principale en est l’emploi des ressources dégagées par la productivité technique à des tâches non contributives au PIB, voire carrément destructrices de valeur. Elles sont soit prises en charge par les administrations et financées par des prélèvements obligatoires, soit imposées directement aux entreprises, ce qui diminue leur compétitivité et contribue à la désindustrialisation et, plus généralement à la destruction d’emplois. Ces charges provoquent une augmentation de leurs prix de revient qu’elles répercutent dans leur prix de vente, ce qui donne l’illusion d’une croissance de la valeur ajoutée camouflant partiellement la réalité.
Les prélèvements obligatoires atteignent officiellement 45,6 % du PIB (source Eurostat pour 2023), ce qui représente 57 % de la production du secteur marchand, qui en supporte seul le poids.
Pour réduire en apparence ses prélèvements, l’État impose de surcroît aux entreprises de financer directement certaines de ses missions de sorte que le poids réel des prélèvements obligatoires est supérieur aux chiffres annoncés. Voici quelques exemples :
L’État impose aux assurances complémentaires santé de compenser les déremboursements de la sécurité sociale tel que le passage d’un taux de remboursement des médicaments de 70 à 65 %. Évidemment les cotisations sociales et autres prélèvements en faveur de la sécurité sociale ne sont pas réduits pour autant, c’est donc un prélèvement supplémentaire sur les assurés équivalant non seulement à ce transfert mais supérieur en raison des taxes sur les contrats d’assurance, soit 13,7 % pour les personnes isolées, généralement les plus modestes. C’est encore le cas quand un assureur automobile doit financer un fonds d’indemnisation des violences civiques sans rapport avec son activité. Toutes les professions ont ainsi leurs bonnes œuvres imposées : les banques doivent financer l’éducation financière du public, les entreprises en général, de la formation professionnelle ou le logement social ou encore l’insertion par emploi, les producteurs d’énergie le fond de service public de l’énergie, les opérateurs de télévision, le financement de la création cinématographique etc…
L’État surcharge également les entreprises de tâches administratives pour son compte telles que la perception des impôts. Ces dépenses sont peut-être utiles et légitimes, mais elles n’apparaissent pas pour ce qu’elles sont : de vraies préemptions des ressources des entreprises par l’administration, ce qui fausse la perception de la réalité, en particulier quant il s’agit de faire des comparaisons internationales et d’étudier la rationalité des décisions économiques. L’image des producteurs en est entachée car les consommateurs leur attribuent totalement la hausse des prix. Le seul but est d’éviter aux pouvoirs publics des décisions difficiles en rendant impossible leur perception globale, mais le camouflage n’empêche pas la catastrophe…
Enfin, il impose des conditions de production auxquelles les producteurs étrangers ne sont pas nécessairement soumis, ce qui nuit à la compétitivité nationale. Deux exemples parmi d’autres : un producteur français d’œufs ne peut pas utiliser certains antibiotiques dans son élevage, pour des raisons de santé publique, mais les importations ne sont pas soumises à cette contrainte et sont autorisées sous réserve de l’indication de ce non-respect sur les produits ! Plus importante, l’interdiction des cultures OGM au titre du principe de précaution tout en en acceptant l’importation dégrade la compétitivité et donc la production française sans aucun avantage réel ou potentiel pour les consommateurs ou la planète.
Au total, les progrès de la productivité sont absorbés par les diverses exigences de l’État sans profit pour les citoyens.
Par ailleurs, l’effectif de la population au travail est un paramètre important de la production totale d’un pays ; celui-ci dépend non seulement des nombres de retraités et d’actifs résidents mais aussi de deux autres variables :
- L’immigration : l’hypothèse centrale du COR est un solde positif de 70 000 travailleurs immigrés par an pour maintenir la population active a son niveau actuel de 30 millions. Il en faudrait 220 000 pour maintenir constant le rapport actifs / retraités actuel.
- Le chômage : le chômage structurel est supposé plus ou moins constant autour de 7 %. Le fait de considérer les chômeurs comme des actifs est compréhensible sur le plan social, mais leur contribution financière est négative. Le chômage a un coût direct, ne génère pas de cotisations mais des droits à retraite que l’État devra prendre en charge financièrement.
Or nous allons être confrontés aux conséquences du développement de l’intelligence artificielle et des robots sur l’emploi qui pourrait conduire à la suppression, en effet direct, de la moitié des emplois actuels d’ici 2050, notamment dans les services dans lesquels la France espérait trouver son avenir. Les conséquences réelles pourraient s’articuler autour de l’une des hypothèses suivantes :
- Soit le personnel est remplacé par des machines. À production identique, l’ensemble machines + chômeurs ayant un coût inférieur aux salaires supprimés, une certaine ressource est dégagée, susceptible d’être utilisées au financement des retraites. L’importance des revenus de transfert dans cette hypothèse montre la faisabilité de la mise en place d’un revenu universel.
- Soit la suppression d’emplois est suivie par la création de nouveaux emplois productifs comme on l’a constaté dans le passé après chaque nouvelle vague de progrès technologique. Après une période d’adaptation, on peut s’attendre une forte croissance rendant soluble le problème de financement des retraites et des autres défis auxquels nous sommes confrontés. La création d’emplois grâce à des activités nouvelles prend cependant du temps et les 10 ou 20 prochaines années pourraient être durement impactées.
- Soit les progrès de productivité continuent à être totalement absorbés par des contraintes d’ordre administratif, c’est à dire des créations d’emplois improductifs. Alors aucun moyen ne sera disponible pour faire face aux différents défis, non seulement celui des retraites mais également ceux de la transition écologique et du réarmement. L’actuelle réforme des retraites apparaîtra alors simplement comme une tentative de repousser le glas. Le chaos est assuré.
Quelles sont les probabilités de ces différentes hypothèses ? Trois forces vont les déterminer : l’évolution de la demande de travail, la situation internationale et la réponse politique.
La demande de travail semble devoir se réduire du fait de l’évolution des mœurs.
Les niveaux des salaires et des aides sociales relativement importantes en l’absence d‘activité marginalisent l’intérêt économique du travail et rendent un investissement total dans une activité professionnelle non indispensable pour survivre. Par ailleurs, la conscience des problèmes écologiques semble inspirer une mutation de la société de consommation vers un retour à la sobriété. Cette diminution des ambitions économiques est également influencée par la réduction de la taille des familles et l’existence, dans beaucoup d’entre elles, d’un patrimoine immobilier qui réduit les besoins de revenus. Par ailleurs le niveau très élevé de la fiscalité décourage l’effort et favorise les activités pour compte propre. En effet, dans un pays qui prélève la moitié de la richesse globale, le travail fait pour soi-même est en moyenne deux fois plus rémunérateur que le travail fait sur le marché. Beaucoup d’entreprises l’ont compris. C’est en outre une invitation au travail non déclaré, voire aux activités clandestines ou illicites.
Au total, les attentes économiques deviennent secondes par rapport au désir de liberté et de réalisation personnelle, c’est-à-dire d’activités choisies pour leur intérêt, le plaisir qu’elles procurent, ou le rôle qu’elles permettent de tenir dans le jeu social.
L’évolution dans ce sens va être compliquée par les interférences avec l’étranger ; la menace de conflits impose de conserver une activité économique forte. L’immigration pourrait apparaître comme le moyen de contourner cette difficulté au prix d’autres risques.
L’action politique en démocratie a vocation à répondre aux aspirations des populations et est caractérisée par une propension à aller dans le sens de la facilité et du court terme. On peut donc raisonnablement penser que la tendance sera d’utiliser les progrès de productivité pour financer les activités non productives au sens classique et de recourir à l’immigration pour les travaux indispensables non pris charge par la technologie et les autochtones mais le revenu universel finira par être préféré à la création d’emplois inutiles, car contrairement à ceux-ci, non seulement il ne ferait pas obstacle à la production mais accroîtrait la liberté et la créativité car tout le monde éprouve le besoin d’avoir de l’activité sans obligation et sans pénibilité imposée, ce qui ne contribuera peut-être pas au PIB officiel mais plus sûrement à la production d’utilités ignorées des statistiques officielles.
Le prix pour le pays sera d’avoir à abandonner ses ambitions de puissance et de rayonnement, et d’accepter les risques de la faiblesse dans un environnement difficile et agressif.