Homo Perfectus

Les Français qui ont conquis de haute lutte leur liberté y sont très attachés : la moindre menace de remise en cause suscite cris et manifestations.

Pourtant, un mouvement insidieux, qui crée certes de l’agacement, ne provoque aucune révolte, comme s’il n’était porteur d’aucune menace : c’est celui qui tend au conditionnement de plus en plus étroit de nos comportements. 

Il est constitué d’un étage légal et réglementaire, très important en France puisqu’on y compterait 150 000 lois et un nombre incalculable de règlements divers, et un second étage plus soft (au sens de soft power), constitué d’un ensemble de codes de comportement plus ou moins contraignant allant du politiquement correct aux modes.

Tout le monde se plaint de l’abondance des lois et règlements comme autant de sources de contraintes administratives, mais le mouvement a une portée plus importante La réglementation relative à la construction, la vente, le contrôle et tout particulièrement l’usage des automobiles illustre de manière parfaite cette évolution car il concerne à peu près tout le monde quotidiennement. Des dispositifs électriques et numériques nombreux aident à l’application des obligations faites au conducteur : feux de signalisations, radars, péage automatique des autoroutes, caméras, dispositifs embarqués contrôlant vitesse, freinage et trajectoire etc. Le but est de rendre l’usage de la voiture aussi prévisible et sûr que celui d’une rame de métro automatisée : il faut donc tendre vers la robotisation du conducteur et de son engin.

Les activités humaines qui ne comportent pas ou peu d’interactions avec d’autres personnes ou des animaux et se déroulent hors de la vue du public font l’objet de moins de contraintes mais les prescriptions sont néanmoins de plus en plus nombreuses et relayées par la bien-pensance. Ainsi si votre chatte met au monde des chatons que vous ne souhaitez pas garder mais offrir à d’autres personnes qui aimeraient en avoir un et que vous utilisiez Internet pour les identifier, vous aurez une réglementation à observer : que le chaton soit identifié dans un fichier national, que l’animal soit donné sans contribution financière en contrepartie, etc. Dans la pratique, l’administration n’a guère de moyens de faire respecter ces textes, comme beaucoup d’autres d’ailleurs, mais ils existent et pourront être appliqués un jour à des citoyens inconscients de leur existence… Problème minuscule en soi mais qui n’est qu’un élément parmi des centaines des milliers dans tous les domaines.

Les lois fondamentales améliorent la vie des citoyens, les règlements de détail lui pourrissent la vie par leur omniprésence et la volonté qu’ils traduisent de brider les libertés.

Les problèmes de santé générant des besoins de soins payés par l’État, celui-ci tente de vous amener à une vie plus saine. Qui pourrait trouver à y redire ? Les aliments qui vous sont proposés sont donc classés en fonction de leur intérêt pour votre santé. Demain l’usage des moins bons sera sanctionné, par le prix d’abord (taxe sur les sodas sucrés par exemple) et des contraventions ensuite comme pour le tabac. En attendant, des campagnes de communication tentent de vous convaincre et de vous désigner à l’attention des autres comme un mauvais citoyen, responsable potentiel du déficit de la sécurité sociale et cette communication sera d’autant plus efficace que ce que vous serez censés coûter potentiellement n’aura pas à être justifié : vous serez le Mal et celui-ci n’est pas un concept mathématique divisible.

Le Covid et les jeux olympiques ont constitué des occasions de justifier et de multiplier les interdits et de mettre en œuvre un dispositif exigeant la production de preuves, contrôlées par la police, des raisons de votre présence dans certains endroits à certaines heures ou dans certaines conditions. L’interdiction récente de circuler en voiture dans le cœur de Paris pérennise et démontre la volonté de limiter et de contrôler vos mouvements qui doivent désormais être justifiés. La règle passe de la liberté totale sauf interdiction pour motif grave, à l’interdiction comme règle sauf motif reconnu valable par des autorités souveraines agissant sans contrôle.

Aidée par la technologie, la Chine est allée plus loin et montre la voie : le contrôle social attribue à chaque citoyen un capital de points que chaque comportement déviant, repéré par la technologie ou dénoncé par des témoins, va consommer. L’espace de liberté du citoyen se réduit avec le solde, par exemple la possibilité de voyager à l’étranger va se fermer puis, ensuite, la possibilité de franchir les frontières de la région. La liberté est donc totale tant qu’elle n’est pas utilisée, mais disparaît rapidement dans le cas contraire. Les citoyens ordinaires sont invités à aider les contrevenants à se conformer à la règle pour leur bien et celui du pays. La police n’interviendra que pour les récalcitrants.

Des prophètes, des génies, des technologues peuvent influencer le cours des civilisations, mais celui-ci semble avoir son propre mouvement résultant vraisemblablement de la conjonction des multiples forces en œuvre à tout instant dans les sociétés : forces naturelles ou humaines, conscientes ou inconscientes. Et ceux qui s’imaginent en être les organisateurs n’en ceux que des instruments.

Animé par la recherche d’une hypothétique perfection, le mouvement actuel semble vouloir transformer les hommes en robots.

Il intervient alors que débarquent les vrais robots avec des caractéristiques qui les font ressembler aux humains, mais à des humains dont les imperfections ont été corrigées : plus d’intelligence, de résilience, de docilité et moins de sensibilité, de sentiments, de fantaisie : Idéal vers lequel la société semble vouloir amener l’espèce humaine elle-même.

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