La décision du président Trump de mettre en place d’importants droits de douane a choqué en raison de son caractère soudain et imprévisible et du montant totalement inédit, en absence de crise, des taux envisagés.
Si ces modalités sont effectivement choquantes, n’est-t-il pas sain qu’un pays qui enregistre depuis longtemps de très importants déficits dans ses échanges extérieurs, finisse par s’en préoccuper ?
Les économies planifiées comme celle de l’ex URSS ont une propension forte à l’asphyxie, comme l’ont démontré tous les pays qui l’ont suivie. Les économies libérales ont, quant à elles, tendance à se créer des déséquilibres croissants qui finissent par être insupportables.
Le libéralisme dans les échanges internationaux est le mode d’organisation le plus favorable au développement ; il permet à tous les pays le pratiquant d’accéder à l’ensemble des ressources existant dans le monde, de bénéficier des avantages compétitifs de chacun d’entre eux et des économies d’échelle que permet la concentration de la production de chaque bien ou service dans les plus performants. Un problème existe cependant tenant à l’existence de pays n’ayant pas d’avantages compétitifs significatifs ; ils peuvent s’approvisionner aux meilleurs prix, mais ils ne peuvent pas payer. Pire ils vont perdre les marchés qu’ils pourraient tenir dans un espace économique contrôlé et dans leur propre pays : leur insolvabilité seule protège une activité économique résiduelle de subsistance.
Schématiquement, si trois ensembles économiques, produisant chacun 100 suppriment toutes les barrières aux échanges entre eux, leur production commune peut passer rapidement de 300 à 400, mais avec le risque d’une répartition très inégale : l’un peut passer de 100 à 200, le second 100 à 150 et le troisième, 100 à 50 par exemple.
Les deux premiers ont de quoi se réjouir. La situation du troisième peut évoluer de plusieurs manières :
- le pays s’enfonce dans la pauvreté.
- le pays réussit à se créer des avantages compétitifs : Certains ont ainsi décidé d’offrir un cadre fiscal très avantageux aux entreprises étrangères acceptant de se localiser chez eux ; C’est un détournement artificiel de richesses parfois autorisé par ceux qui en sont victimes. Ce fut le cas par exemple de l’Irlande qui a su toutefois, à partir de là, se doter d’une activité réelle.
- la misère et la volonté peut conduire le gouvernement à orchestrer un abaissement des coûts de production en dessous de ceux de pays concurrents : salaires, taxes, coût du sol et absence de réglementations contraignantes. Cette voie, très pratiquée, par obligation plus que par choix, est socialement défavorable mais peut néanmoins permettre le décollage d’une économie très en retard.
- Enfin, un processus souvent constaté est la migration des hommes et des capitaux vers des territoires mieux dotés. On en trouve des exemples dans tous les États qui se sont constitués au fil du temps par annexion de territoires voisins ; en France, population et activités se sont concentrées dans les grandes agglomérations et les zones littorales, tandis que certaines régions se désertifiaient.
Sur le plan international cette évolution est moins facile : il y a des barrages à la circulation des hommes et souvent des obstacles à celle des capitaux.
Le déficit américain, malgré son ampleur n’a pas entraîné ces conséquences en raison de la qualité de monnaie de réserve du dollar. Alors que tout autre pays doit payer ses importations avec une monnaie de réserve qu’il ne peut acquérir qu’en exportant des biens et services ou en vendant des actifs nationaux, ou bien encore grâce à des revenus financiers d’investissements à l’étranger qu’il a fallu financer antérieurement, les États -Unis se contentent de créer des dollars. Leurs contreparties sont obligées de les utiliser aux États-Unis en s’y approvisionnant ou en y investissant et s’il les utilisent dans d’autres pays, cela transmet leur contrainte à un tiers mais ne change rien pour les États-Unis eux-mêmes. Cette situation n’est pas incompatible avec le plein emploi et l’économie américaine tourne à plein régime avec un taux de chômage très bas et purement frictionnel. Un État déficitaire qui ne dispose pas d’une monnaie acceptée par la communauté internationale est voué à une descente en enfer et à la mise sous tutelle du FMI: les conséquences ne sont pas uniquement techniques: tout le monde se souvient des efforts terribles qu’ont du consentir les populations des pays dans cette situation.
Cette situation a également été très avantageuse pour le consommateur américain : compte tenu des parités de pouvoir d’achat, un dollar dépensé en Chine ou dans des pays comparables en vaut quatre employés à des achats auprès de producteurs locaux. Le consommateur n’a pas bénéficié totalement de cet avantage, capté partiellement par le transport, la distribution et les taxes intérieures, mais il s’agit vraisemblablement pour lui d’un avantage de + de 10 % sur son budget de consommation annuel.
Les États-Unis trouvent un autre avantage dans la situation de monnaie de réserve du dollar : c’est un argument pour justifier leur prétention au contrôle de toutes les transactions en dollars dans le monde, même s’il ne s’agit que d’une devise de facturation ou de dollars créés par une banque étrangère.
Quelles seraient les conséquences d’un rétablissement de l’équilibre de leur balance commerciale ou des paiements ? Leurs échanges commerciaux connaissent un déficit de l’ordre de 1000 milliards de dollars par an tandis que la balance des paiements n’est déficitaire que de la moitié : la rémunération de leurs placements versée aux investisseurs étrangers, notamment aux détenteurs de la dette extérieure des États-Unis, est en effet inférieure de moitié aux produits financiers des investissements américains dans le monde. Faire baisser les importations de 500 milliards, aurait un impact significatif sur la demande mondiale, mais le choc réel dépendra de la réaction des autres pays, qui imposera vraisemblablement un retour à la raison : l’imprévisibilité introduite dans l’économie internationale est probablement la principale cause de dommage à l’économie créé par cette gouvernance erratique.
Le libéralisme maximise la production de richesses dans l’ensemble des pays qui l’ont adopté; mais il ne l’optimise pas en regard de sa finalité qui est le bien être des populations, mieux assuré sur la durée par le respect des grands équilibres. Il ne s’agit pas d’écarter la rationalité économique, comme il est fait souvent en évoquant l’humain, car les idées les plus généreuses et les plus justifiées moralement ne peuvent permettre de distribuer des ressources qui n’existent pas, mais de considérer que la mesure de l’activité économique n’est pas l’effort et l’agitation (ce que fait le PIB) mais la contribution à ce bien être.
La crise actuelle pourrait être l’occasion, comme l’est la guerre en Ukraine en matière de défense relativement à l’OTAN, de réformer l’OMC et le FMI, peut-être même de les fusionner, afin d’organiser un nouveau type de rapports entre leurs membres, pour favoriser les échanges commerciaux mondiaux dans le respect des grands équilibres économiques de chacun. Une nouvelle monnaie de réserve collective, échappant au contrôle d’un État particulier, pourrait voir le jour, accompagnée d’un mécanisme d’ajustement rapide visant à favoriser leur respect.