L’opinion publique et les médias accordent beaucoup d’importance à l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat et peu aux conséquences sur les patrimoines, souvent plus importantes mais plus difficiles à analyser car elles dépendent des situations individuelles.
Le terme inflation exprime le fait qu’il faut une quantité croissante de monnaie pour acquérir un panier de biens et de services représentatif de l’activité économique du pays. C’est donc un appauvrissement de ceux qui détiennent la monnaie nationale.
L’inflation n’en est pas la cause première, mais est le moyen de répercuter sur tout ou partie des agents économiques une perte qui peut avoir diverses causes telle que l’augmentation du prix d’un bien massivement importé (ainsi la guerre en Ukraine a provoqué une hausse très importante du prix de l’énergie constituant un prélèvement sur le revenu national au profit des producteurs). Une dévaluation de la devise nationale par rapport aux devises de facturation des importations a le même effet. Il peut aussi s’agir d’une création excessive de monnaie lorsqu’un État paie ses créanciers, fournisseurs et fonctionnaires avec de l’argent créé sans contrepartie réelle.
Les agents économiques qui subissent les premiers l’inflation s’efforcent de la reporter sur ceux avec lesquels ils ont des échanges : les clients pour les entreprises, les employeurs pour les salariés, les locataires pour les bailleurs, etc… Mais si chacun réussit à la répercuter totalement, une spirale sans fin s’installe et un choc initial limité peut se traduire par une hausse de prix de très grande ampleur. Pour qu’elle s’arrête, il faut que la perte résultant du choc initial soit complètement absorbée par des agents économiques.
L’intervention de l’État consistant à solvabiliser tout ou partie d’entre eux pour les protéger de l’inflation ne résout pas le problème. Elle peut permettre de déplacer le choc de certains agents sur d’autres réputés plus aptes à le supporter, par exemple en prélevant davantage d’impôts pour compenser les subventions distribuées. Il peut aussi emprunter. Dans ce dernier cas, il alimente l’inflation en créant l’illusion d’avoir compensé la perte alors qu’il n’a fait que la différer.
L’impact sur le patrimoine des ménages est très important. On sait que l’essentiel est constitué de biens immobiliers et de foncier. Les loyers étant habituellement assis sur des indices plus ou moins représentatifs de l’inflation, on pourrait imaginer que le prix des biens évolue de même.
Il n’en est rien car ce sont les transactions qui servent de référence pour l’évaluation de tout le stock. Or, les prix des transactions sont influencés par le niveau des taux d’intérêt qui tend à augmenter avec l’inflation. Selon la note de conjoncture des Notaires de France, en juillet dernier, la baisse de prix des appartements en Ile de France sur douze mois a été de 4,8 %. Elle varie beaucoup selon la nature des biens et les endroits, mais une baisse de 5 % qui se généraliserait représenterait pour les propriétaires une dévalorisation de leur patrimoine de 300 milliards d’euros et de 600 milliards en pouvoir d’achat, c’est-à-dire en regard de l’indice des prix. La différence principale entre l’impact sur le prix du stock et le pouvoir d’achat que celui-ci représente est que le premier se produit en une fois avec l’augmentation des taux alors que l’érosion du pouvoir d’achat est proportionnelle au temps pendant lequel l’inflation sévit.
L’impact de l’inflation sur l’évaluation des actifs financiers est très variable selon leur nature : les actions représentent la propriété d’entreprises qui, en règle générale, peuvent répercuter sur leurs clients les hausses de coûts qu’elles subissent, ce qui les préserve assez bien.
L’impact sur les actifs financiers non ou faiblement rémunérés est, en revanche, très important. La masse des dépôts bancaires et des contrats d’assurance vie en euros est proche de 4 000 milliards d’euros. Une inflation au taux de 5 % annuel qui se poursuivrait pendant 10 ans lui ferait perdre 40 % de sa valeur réelle, soit l’équivalent d’une année de revenus des ménages (entre 1938 et 1952 les prix ont été multipliés par 14 et les détenteurs d’actifs de ce type totalement ruinés).
Les ménages endettés à moyen et long terme avant la hausse des taux font au contraire une excellente affaire ; ils bénéficieraient d’un allègement de leur endettement, en termes réels, de l’ordre de 30 % selon leur rythme de remboursement, soit entre 300 et 400 milliards d’euros sur l’endettement en cours fin 2022.
Le plus grand gagnant est l’État bien que la presse s’affole de la hausse des taux auxquels il s’endette désormais. Il a une dette de l’ordre de 3000 milliards d’euros, émise pour l’essentiel avant 2023, dont le taux moyen doit être proche de 1 % et la duration de 9 ans. La persistance de l’inflation au même taux jusqu’au remboursement, allègerait le service global de cette dette de 30 %, soit 900 milliards. Une baisse rapide de l’inflation réduirait toutefois cet avantage et une perte pourrait même se produire si le taux moyen de l’encours en venait à être supérieur à celui de l’inflation.
Au total, une forte inflation prolongée perturbe l’économie en créant de l’incertitude et en modifiant la valeur relative des actifs de manière artificielle. Elle est néfaste socialement du fait que beaucoup de revenus ne sont ajustés qu’avec retard et que les différents éléments constitutifs du patrimoine sont affectés de manière différenciée, les actifs de taux, composantes essentielles des patrimoines les moins élevés, étant les plus pénalisés.
L’inflation allège la dette des États et gomme le poids du passé en réduisant des charges financières juridiquement incompressibles. Cependant, dans un pays où son taux dépasserait celui des autres pays de la même zone monétaire, l’euro en ce qui nous concerne, une dévaluation de la monnaie pourrait devenir indispensable mais l’État concerné n’aurait pas le pouvoir de la décider.